En 1943, le psychiatre Leo Kanner apporte une description très précise de jeunes enfants présentant des comportements, « biologiquement déterminés » d’indifférence sociale et affective. Il utilise alors le terme d’autisme, du grec
autos signifiant « repli sur soi », l’empruntant au psychiatre Eugen Bleuler qui décrivait, chez des patients atteints de schizophrénie, une perte volontaire et active de relation sociale avec l’environnement extérieur et les individus (
Bleuler, 1943). Kanner voit plutôt dans le comportement des onze enfants qu’il observe un trouble du développement relationnel et non un retrait volontaire, à l’opposé des patients schizophrènes. À la même époque, et sans avoir eu de contact avec le précédent, le pédiatre Hans Asperger faisait état de comportements voisins chez des enfants dotés de langage et « normalement » intelligents. Ce n’est qu’en 1980 que l’« autisme infantile » et les troubles envahissants du développement (TED) ont fait leur apparition dans le
Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III). En 1994, cinq troubles furent identifiés dans la catégorie des TED lors de la mise à jour du DSM-IV (
APA, 1994,
2000), nommément : trouble autistique, syndrome de Rett, trouble désintégratif de l’enfance, syndrome d’Asperger et trouble envahissant du développement non spécifié (TED-NS). L’expression générique de troubles du spectre autistique (TSA), qui supplante désormais dans le DSM-5 (2013) celle de TED, a été utilisée pour la première fois en
1988 (Wing) pour désigner un sous-groupe des TED recouvrant en particulier le trouble autistique, le syndrome d’Asperger et le TED-NS. Ce syndrome est reconnu aujourd’hui comme une condition médicale complexe, chronique et multidimensionnelle, responsable chez les individus atteints de difficultés aux plans des relations sociales, de la communication et du comportement. Le risque majeur, étant donné la plasticité cérébrale chez le jeune enfant, est que la survenue de ce syndrome vienne « fixer » des
patterns aberrants de fonctionnement et limiter les possibilités de récupération. L’enjeu réside donc singulièrement dans les prises en charge éducatives et rééducatives, celles-ci devant être précoces et proposées, dans l’idéal, dès le repérage du risque d’autisme.
Définition et classifications médicales
Nos connaissances sur l’autisme et les troubles apparentés se sont certes sensiblement améliorées ces vingt dernières années, mais nous restons ignorants de la nature exacte et des causes de ce syndrome clinique. Sa définition même continue à faire débat, comme en témoignent les discussions récentes et vives à l’occasion de la publication du DSM-5. Les questions sur l’évolution de l’autisme, son pronostic et ses traitements restent entières. Quoi qu’il en soit, l’autisme est un trouble débutant dès le plus jeune âge (par convention avant 3 ans) en lien vraisemblablement avec des perturbations précoces du fonctionnement cérébral. Le DSM-5 rend d’ailleurs compte de cette conception en positionnant désormais l’autisme comme un trouble du neurodéveloppement. Le terme de « troubles envahissants » (traduction de l’anglais pervasive disorders) du développement, supplanté aujourd’hui par celui de troubles du spectre de l’autisme mais longtemps utilisé par l’ensemble des classifications médicales, a permis de figurer que toutes les sphères du fonctionnement des personnes atteintes d’autisme étaient habituellement altérées — langage, communication, cognitions et motricité, même si ce domaine est le plus souvent le mieux préservé. Avec la publication de la cinquième édition du DSM en mai 2013, la façon de décrire les incapacités associées à l’autisme a changé. Désormais, un seul terme englobe ces invalidités : « Trouble du spectre de l’autisme ». Les classifications médicales, notamment la CIM-10 (dont la 11e version est en gestation) et le DSM-IV, proposaient jusqu’alors un ensemble de signes permettant de circonscrire des catégories cliniques plus ou moins précises et valides — notamment pour le syndrome d’Asperger, dont la distinction de l’autisme infantile est depuis longtemps discutée. Avec le DSM-5, les patients ne recevront plus un diagnostic d’« autisme », de « trouble envahissant du développement non spécifié » (TED-NS) ou de « syndrome d’Asperger » puisque toutes ces catégories distinctes disparaissent « officiellement », laissant place au seul terme de « trouble du spectre de l’autisme » (TSA). Par ailleurs, les personnes atteintes de TSA sont répertoriées par le DSM-5 selon trois degrés de gravité. Celles dont le « degré d’atteinte » n’est pas répertorié dans ces trois niveaux mais qui présentent des troubles significatifs en matière de communication sociale, pourront recevoir un diagnostic de « trouble de la communication sociale » (Social Communication Disorder, SCD) : cette nouvelle catégorie s’applique aux personnes atteintes de troubles de la pragmatique sociale et de la communication sociale qui ne présentent cependant pas les « intérêts, activités et modèles de comportement restreints et répétitifs » habituellement associés aux TSA.
Il reste que cette approche dimensionnelle proposée par le DSM-5 ne résout pas une question majeure liée à l’importante diversité des troubles du spectre de l’autisme (soulignée par le terme lui-même), qui est celle de la nature et de l’étiologie, ce qui bien évidemment peut avoir un impact sur la réponse aux diverses modalités de traitement. En effet, d’une personne à l’autre, les tableaux cliniques « résumés » au sein d’un même label diagnostique peuvent être très différents, par leur intensité symptomatique, la présence ou non d’un retard mental et sa sévérité ou bien encore la survenue d’une comorbidité (par exemple, neurologique ou génétique).
Rappelons aussi que les TSA sont durables et qu’ils concernent donc des enfants et des adolescents, mais aussi une population numériquement plus importante d’adultes et de personnes âgées. Notre société a malheureusement peu pris la mesure de cet aspect et les représentations sociales et professionnelles sur les TSA restent celles d’un problème de santé pédiatrique. Les trajectoires évolutives d’un trouble du développement tel que les TSA sont aussi peu connues, malgré le constat d’une forte variabilité. Pourtant, avec l’âge, des évolutions adaptatives importantes peuvent survenir, permettant chez certains à l’âge adulte une autonomie sociale et dans la vie quotidienne proche de la norme. Ces évolutions optimales, comme les qualifient les chercheurs anglo-saxons, conduisent certaines personnes diagnostiquées comme ayant des TSA, à « sortir » de ce spectre du point de vue des critères diagnostiques requis. Quoi qu’il en soit, et à l’exception de ces formes à l’évolution extrêmement favorable, les TSA ont habituellement un impact négatif sur la qualité de vie des individus atteints et sur celle de leur entourage familial. Les familles dans leur ensemble sont soumises à des facteurs de stress importants et répétés dans la mesure où elles doivent faire face quotidiennement aux conséquences des TSA, dans un contexte social encore insuffisamment organisé pour prendre en charge le handicap qui en découle. Les familles n’ont pas toutes les mêmes capacités de coping et, lorsqu’elles sont dépassées, elles peuvent alors souffrir à leur...